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Mont-Saint-Michel - 13 mars 2035. C’est un jour de petite marée dans la baie. Coefficient 43. Comme 360 jours sur 365, l’abbaye est reliée à la terre. Depuis que l’île est devenue presqu’île, les touristes sont de moins en moins nombreux : 2,3 millions en 2010, 1,9 millions en 2020, 1,3 millions vingt ans après, la popularité du monument s’érode comme la côte rongée par les sables.


Cette usure du temps, ce scénario catastrophe pour la cinquantaine d’habitants du Mont-Saint-Michel ne devrait pas se produire.     


Champeaux - 13 mars 2015, d’ouest en est : la pointe de Cancale, le Mont-Dole, le rocher de Tombelaine. La Sée et la Sélune coulent dans le fond de la baie, des dunes s’échouent sur le bec d’Andaine. Au milieu des sables, le Mont-Saint-Michel est à sec comme près de 300 jours dans l’année.


Joseph connaît bien le coin. Au bout d’un chemin de terre, il contourne deux flaques d’eau pour s’arrêter devant une des plus belles vues de la baie. Cet ancien instituteur, amateur de pêche à pied, marche autour du Mont-Saint-Michel depuis plus de 50 ans. Il aime à raconter les légendes de la baie : la marée qui monte “à la vitesse d’un cheval au galop”, les imprudents ensevelis par les sables mouvants, il rit des moines piégés sur des bancs de sable à marée haute... Depuis 20 ans, cet octogénaire breton observe de près les travaux de désensablement entrepris autour de Mont.


Comment faire disparaître l’argile et le sable déposés deux fois par jour dans la baie ? Comment dégager le Mont-Saint-Michel de la couche de trois centimètres accumulée tous les ans au pied des murailles ? Dix ans d’étude, dix ans de travaux. Depuis 2009, un barrage stocke de l’eau de mer à marée haute. Six heures plus tard, les vannes s’ouvrent pour relâcher 1,5 millions de m3 d’eau lorsque la mer entame son reflux. Cet effet “chasse d’eau” permet de balayer progressivement les sables et les sédiments accumulés.


Le “rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel” ? Joseph a du mal y croire. Les littoraux fragilisés, les bancs de sables déplacés, du haut des falaises de Champeaux, l’ancien instituteur observe attentivement les changements dans la baie.

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“C’est une jetée, une avancée dans la mer ouverte.”


Depuis quelques mois, la digue route qui permettait d’accéder au Mont-Saint-Michel à marée basse est remplacée par une passerelle sur pilotis d’un peu moins de 800 mètres. Son architecte, Dietmar Feichtinger dit avoir retrouvé le sens du pèlerinage en proposant une découverte lente du paysage et du monument : “au contraire de la digue route existante qui faisait barrage aux flux de la mer et du fleuve Couesnon, aujourd’hui, l’eau peut passer sous notre ouvrage sur pilotis et redonner l’insularité au mont.”



“Le Mont-Saint-Michel est une île”. Depuis 1911, l’association des amis du Mont défend cette idée et demande la destruction de la digue route érigée en 1879. Chaque année, pendant près de 40 ans, 650 000 véhicules se sont entassés sur un parking au pied du monument. La route, le parking, autant d’aménagements qui ont limité le reflux des marées et renforcé l’ensablement naturel du site.



Historien, passionné par le Mont-Saint-Michel, guide-conférencier à ses heures perdues et président de l’association des amis du Mont, Henri Descaens se présente comme “un amoureux de l’histoire et de la beauté du site” : “L’histoire du Mont s’est créée parce qu’il y avait la mer. Le Mont est entouré par les eaux depuis la fin de la dernière glaciation, il y a au moins 10 000 ans. Aujourd’hui, le but essentiel a été obtenu.”  


Mission accomplie ? Déclaré d’utilité publique en 2003, le “sauvetage” du Mont-Saint-Michel est en effet assuré. Même si les alentours du monument sont encore en travaux, Patrick Morel, directeur du syndicat mixte qui pilote l’opération assure que dans quatre mois, tout sera terminé. Aujourd’hui, l’ancienne digue route n’est pas complètement détruite et il manque un chenal pour renforcer le désensablement du monument.


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Un parking, quelques hôtels à l’architecture disgracieuse, un centre commercial dédié à la vente de souvenirs et puis le barrage du Couesnon. Quand on arrive sur la baie du Mont-Saint-Michel, la première appréhension du monument, c’est ce promontoire légèrement incurvé. Derrière le visiteur d’un jour, les polders. Devant, le Couesnon qui contourne au loin le Mont-Saint-Michel.



12 ans de réflexion, quatre ans de chantier, Luc Weizman a dessiné l’ouvrage. Il l’a imaginé “au service du paysage et de l’environnement” : “Ce n’est pas du tout un barrage puisqu’il assure une sorte de porosité hydraulique entre les eaux douces et les eaux salées. Il est à l’interface d’une réalité terrestre et d’une réalité plutôt maritime.”



Au coucher du soleil, la face sud du Mont est baignée par le soleil, l’architecte se met alors à rêver : “J’ai voulu créer un espace public au-dessus des eaux, un lieu de contemplation de l’environnement mais aussi un lieu de spectacle.” De là à imaginer un “festival du barrage”, il n’y a qu’un pas : Luc Weizman milite pour “une sorte de désensablement des consciences” par le théâtre, la musique, les contes, dans une région qu’il regrette peu tournée vers la culture.



Huit vannes de neuf mètres, 160 tonnes d’acier, sous les lattes en bois du balcon, le dispositif hydraulique est à fleur d’eau. En 2009, l’édifice remplace l’ancien barrage construit dans les années 60. Contrairement à son prédécesseur, il laisse entrer une partie de la marée dans les terres pour recréer du courant dans le Couesnon, un mouvement artificiel destiné à faire disparaître près de 40 hectares d’herbus. Romain Desgué a conduit les opérations. À trente ans, le jeune homme a toujours vécu près de la baie. Une première mission d’envergure, un enthousiasme à toute épreuve, l’ingénieur ne doute pas de la réussite du dispositif de désensablement du Mont.


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“La traversée d’aujourd’hui, ce n’est pas celle de demain”.


Le pas décidé, la gouaille du guide habitué à mener des marches groupées, Didier Lavadoux franchit les premières dunes du Bec d’Andaine : “Attention, pas à gauche, c’est vaseux.” Ce Manchois d’adoption a six ans quand il découvre le Mont-Saint-Michel. Une quarantaine d’années plus tard, il traverse la baie plusieurs fois par semaine seul ou accompagné :



“Aujourd’hui, on ferait des grands zigzags. On sort de l’hiver, les fleuves sont chargés. On partirait pieds nus, on rejoindrait un petit fleuve qui s’appelle le Lerre, il y a du courant et de chaque côté une grosse vasière, c’est très éprouvant. On irait ensuite faire un tour à Tomblaine, le rocher au milieu de la baie, si bien sûr, il n’est pas entouré par l’eau. On remonterait ensuite vers l’Est. C’est là, le long des fleuves, qu’il y a du courant et des sables mouvants. On redescendrait ensuite vers le Mont-Saint-Michel. Mais attention, les abords du Mont deviennent de plus en plus compliqués.”    



Depuis les premières traversées des grèves au Moyen-âge, l’espace a considérablement changé. L’ensablement naturel bien sûr mais aussi les aménagements autour de la baie : “Les fleuves peuvent faire des bonds d’un kilomètre, la baie est très capricieuse”. Les marées, les courants… Didier a l’habitude de jongler avec les éléments naturels. Le problème aujourd’hui, c’est le barrage. Depuis sa mise en service, il est de plus en plus compliqué de marcher du Bec d’Andaine au Mont-Saint-Michel.  

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Des saumons de l’Atlantique, des pies de mer, des crapauds calamites et même une colonie de 70 phoques veaux marins, depuis le début des travaux en 2005, toutes ces espèces sont surveillées de près.  



La baie du Mont-Saint-Michel est une des 38 “zones humides d’importance internationale”, un espace protégé par la convention Ramsar adoptée dans les années 1970. Depuis la mise en service du barrage du Couesnon, les espèces animales ont changé d’environnement : les poissons migrateurs, anguilles et saumons, traversent l’édifice et un amphibien plutôt rare dans la région, le pélodyte ponctué, s’installe dans un espace aménagé à six kilomètres du Mont Saint-Michel, dans l’anse de Moidrey.



300 000 m3 d’eau, neuf kilomètres de “criches”, des chenaux dans le jargon local, l’anse a été creusée artificiellement dans une prairie. Dans les années 70, l’espace était une vasière. Asséché par l’ancien barrage, l’espace retrouve depuis quelques mois son état d’origine avec la remontée des marées dans le Couesnon.



Réimplanter des espèces présentes avant les années 70 sans limiter le développement des animaux qui occupaient la prairie depuis, c’est la mission d’Audrey Hémon. Chargée de l’environnement au syndicat mixte de la baie du Mont-Saint-Michel, la jeune femme constate le retour des hérons et des canards dans l’anse tout en surveillant le maintien des amphibiens dans des mares d’eau douce aménagées à côté des chenaux.


Si les travaux s’achèvent dans quatre mois, la mission d’Audrey continue. En 2021, elle livrera un premier bilan pour savoir si ces aménagements artificiels bénéficient au développement de la faune et de la flore, autrement dit si la nature a bénéficié de la main de l’homme.


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